mercredi 22 juillet 2009

Mon Eros très privé – 1974 – Kazuo Hara







Les années 1970, Japon. Kazuo Hara rempile pour un nouveau documentaire bouleversant les tabous de l’époque. Après les handicapés, le réalisateur s’intéresse à la femme japonaise, à l’amour et aux sentiments : à la sphère intime. Sans aller chercher trop loin, il décide de se baser sur un cas personnel, de suivre son ancienne compagne pendant plusieurs années. Comme il l’explique en début de film, il réalise ce docu pour mieux la comprendre.

Cette femme s’appelle Miyuki, elle est partie vivre à Okinawa avec leur enfant. Elle avait quitté le réalisateur par manque d’espace, trouvant qu’il commençait à trop l’étouffer. Durant l’introduction Hara revient sur sa relation avec elle, en voix-off, tandis qu’une série de photos s’affiche à l’écran. À la vision de ces images, le commentaire parait surréaliste tant la femme semble appartenir à la norme. Docile, gentille, dévouée et amoureuse. Difficile de croire qu’il s’agit là d’une femme déterminée à forte personnalité. Pourtant, c’est bien elle qui a largué le réalisateur.

Kazuo Hara part donc pour Okinawa où il va s’immiscer dans la vie privée de son ex, réussir à se fondre dans le décor. Si la dernière photo de l’introduction est claire quant à l’originalité de la femme, posant nue et enceinte, rien n’indiquait à quel point son style de vie diffère totalement de celui d’une mère au foyer classique. Déjà, la femme est bisexuelle, elle est avec une autre femme. Quand le réalisateur arrive chez elles, il crée une tension au sein du couple, et assiste pendant ses quelques jours de présence à des engueulades parfois violentes. Ce n’est qu’un début.

Les histoires d’amour de Miyuki ne durent pas longtemps et s’enchaînent facilement. Elle peut rencontrer beaucoup de personnes à son travail, elle est danseuse dans une boîte de nuit. C’est comme ça qu’elle tombe amoureuse d’un soldat noir-américain, le père de sa future fille. Mais il n’aura pas l’opportunité de voir sa fille grandir, le couple se sépare après trois semaines. Hara aura une discussion houleuse avec Miyuki sur l’origine de cette relation, pointant des raisons uniquement raciales quand la femme essaye tant bien que mal de parler de la personnalité du soldat. Le réalisateur s’interroge après avoir assisté à une discussion périlleuse entre le soldat et elle avec son anglais approximatif.

À Okinawa, elle n’est pas la seule à devenir mère après une courte liaison. Beaucoup d’autres femmes se retrouvent enceintes et décident de l’assumer jusqu’au bout. Toutes ces femmes ont un fort caractère et ne laisse pas faire, elles ont appris à être fermes et combatives quand il le fallait. Certaines racontent à la caméra des anecdotes violentes de leurs vies, des altercations entre hôtesses de bar, des difficultés à se nourrir. Hara va même à la rencontre d’une adolescente qui travaille dans ce milieu, vivant de son corps comme les autres.

Miyuki se montre aussi très possessive et parfois arrogante. Quand elle rencontre la nouvelle femme de Hara, elle n’essaye pas d’être chaleureuse et accueillante, au contraire, elle est désagréable et balance des méchancetés gratuites à la figure du nouveau couple. Sa réaction prouve qu’elle reste attachée au réalisateur, qu’elle se pensait peut-être irremplaçable. Une femme forte touchée dans son ego. De son côté, Kazuo Hara se montre plus doux, il se laissera filmer en train de pleurer, lui l’homme japonais craque devant la caméra.

Cette femme ne se laisse pas enterrer par les difficultés de la vie. Lorsqu’elle quitte Okinawa, elle prend le temps de distribuer dans les rues un papier pamphlétaire sur l’île, livrant une vision acerbe de l’endroit. Elle finira par se faire attaquer par une bande de gangsters qui déchireront les papiers, Hara sera aussi témoin de cette rixe. Mais le plus surprenant, dans ce qui s’avère être la scène du documentaire, c’est son accouchement sans aide médicale dans l’appartement du réalisateur. Un passage somptueux et tendu, entre la peur et la joie. Tellement que Kazuo Hara en oubliera de faire une mise au point, laissant la scène dans le flou. Ce qui n’égratigne en rien l’impact d’un instant pareil. Au final, la femme est fière de cet accouchement, bien que fatiguée elle reste plus que jamais lucide et consciente.

À l’exception de quelques commentaires en voix-off, Kazuo Hara laisse le film se construire au fil de évènements. Il n’intervient pas directement, n’essaye pas d’influencer le film et de surexposer des points. Il conserve une liberté de ton étonnante tout en restant dans l’ombre de Miyuki et de sa vie. Sa caméra parvient à s’intégrer parfaitement dans le quotidien de la femme, sans en perturber le déroulement, tout conserve sa spontanéité qu’importe l’endroit, la rue, une boite de nuit, un bar. Le spectateur est auprès des personnages. Le principal changement effectué est au niveau de la bande son, régulièrement désynchronisée par rapport aux images. Une manière de varier les plans sans perdre l’ambiance.

(Source: wildgrounds.com)

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