mardi 28 avril 2009

samedi 18 avril 2009

"Le hasard a des intuitions qu'il ne faut pas prendre pour des coïncidences"

My Uncle: M. Hulot à la conquête de l'Amérique


Homo sifflotant, flâneur immature au falzar trop court, M. Hulot a la démarche d'un dadais effaré, un jeu de jambes imprévisible, alternance déroutante de grandes enjambées et de valses-hésitations giratoires. Ses déambulations incongrues de rêveur échassier trahissent une répugnance à emprunter les sens obligatoires et les routes balisées. D'instinct, il opte pour la trajectoire oblique, la diagonale du fou.

Dans Mon oncle (1958), il fait bande à part. Rebelle aux habitats dotés du tout-confort, lieux rectilignes et géométriques, il habite un vieux quartier de Saint-Maur qui respire bon le refus des entraves, la poésie rétro et le laisser-aller. Le film est une dénonciation de la déshumanisation des petits soldats du conformisme, des pachas de la mécanique, des petits-bourgeois envoûtés par le suréquipement électroménager. Otages de leur villa tout en formica, gadgets et rites synchrones, sa soeur et son beau-frère, les Arpel, incarnent un ridicule esclavage au paraître. Le burlesque abandon du vivant au profit du superficiel.

Entièrement restaurée grâce à la Fondation Gan, la version que l'on nous propose aujourd'hui est inédite. Il s'agit d'une version anglaise, réalisée par Jacques Tati à l'intention du marché américain. Se refusant à doubler ses acteurs et rechignant à recourir aux sous-titres (dont les Américains ne sont pas friands), Tati a tourné chaque scène deux fois, avec les mêmes comédiens, procédant aux modifications nécessaires quand le texte intervenait dans l'image : l'inscription "Ecole" est remplacée par "School", "Sortie" devient "Way".

Le négatif de cette version a été découvert lors de la recherche d'éléments originaux pour la restauration. Paradoxe : il est actuellement impossible de restaurer la VF originale tant que ces éléments ne sont pas retrouvés.

Mais les modifications ne s'arrêtent pas là. Cette version "made for USA" recèle des différences de contenu par rapport à la version connue en France. "Aucune scène n'est réellement commune : prises, rythmes, il n'y a pas deux plans semblables", dit la distributrice du film, Dominique Welinski. Plus longue, la VF montre par exemple un vendeur de bretelles et une bataille d'artichauts lors de la fête foraine qui ont disparu dans la VA. La scène du dialogue de sourds entre les époux Arpel, le son de leur voix étant couvert par le bruit des appareils électroménagers, a disparu de la VA. Par contre, le dîner du petit Gérard est plus long dans la VA que dans la VF, où l'on ne voyait pas Mme Arpel désinfecter les aliments de son fils à l'aide d'un stérilisateur à vapeur.

Ces détails ne sont pas innocents. Pierre Etaix, alors assistant de Tati, raconte que certains éléments ont été ôtés de la VA, où ils auraient été mal compris : c'est le cas des mots croisés, divertissement essentiellement européen. Le marché de Saint-Maur distille quelques étonnantes variations : dans la VF, une Française achète des pamplemousses, dans la VA, c'est une pimbêche anglaise qui interpelle le marchand de quatre-saisons en franglais : "Vous avez grapefruit, s'il vous plaît ?"

LE PEUPLE BARAGOUINE

Le plus étonnant est la façon dont Tati a intégré de l'anglais dans les dialogues. Dans la VA, seuls les bourgeois parlent anglais, le peuple continue à baragouiner la langue de Rabelais. Le gamin baragouine du british, ses copains de la rue en sont incapables. Dans la scène où ces garnements font croire aux automobilistes que leur véhicule a été percuté, un banlieusard vocifère en français tandis qu'un gentleman use du vocabulaire d'Oxford.

David Bellos, biographe de Tati d'origine britannique, y donne une explication bien de chez lui : Tati "utilise l'anglais de la façon dont la culture française craignait qu'il soit utilisé, c'est-à-dire comme vecteur de distinction, de supériorité et de richesse". Date symbolique, à ses yeux, "dans l'histoire des anxiétés culturelles françaises" (Jacques Tati, sa vie et son art, Seuil, 2002).

Si tel fut le cas, Jacques Tati aurait été un pionnier de l'exception culturelle. My Uncle ayant reçu l'Oscar du meilleur film étranger en 1959, Tati se vit offrir par Hollywood un budget illimité pour réaliser son film suivant aux Etats-Unis, à deux conditions : que la vedette en soit Sophia Loren et que le titre soit Mr. Hulot Goes West. Jaloux de son indépendance, il aurait répondu : "No, Sir, Mr. Tati Goes East", ce qui, en période de guerre froide, fut très mal perçu et le fit passer pour un "rouge".

C'est au cours de ce séjour qu'il fit aux Etats-Unis qu'il aurait, sur sa demande, passé une après-midi avec Stan Laurel, Buster Keaton et Mack Sennett. Et que ce dernier lui aurait demandé pourquoi il s'était donné la peine d'apprendre l'anglais : "Je vous comprends tellement mieux quand vous ne dites rien !"

Film français. De et avec Jacques Tati, Jean-Pierre Zola, Adrienne Servantie. (1 h 53.)

Jean-Luc Douin

mercredi 8 avril 2009


Silvio Berlusconi: "Les sinistrés du tremblement de terre doivent prendre ça comme un week-end en camping"

mardi 7 avril 2009

Le Grand Macabre, l'opéra de toutes les audaces


Après sa création belge au Vlaamse Opera, l'œuvre de Ligeti arrive enfin à la Monnaie où Peter de Caluwe a demandé aux maîtres catalans du visuel de la Fura dels Baus de mettre en images cette sulfureuse fable onirique. Entretien.


« Le Grand Macabre », pour vous, n'est-ce pas le sujet rêvé ?

C'est un sujet qui nous a tout de suite emballés. Il y a une rupture de logique avec le théâtre traditionnel, même si Ligeti a conservé l'essentiel de la pièce et des personnages de Ghelderode. C'est le théâtre et la musique qui se moquent d'eux-mêmes dans une gigantesque autodérision. On imagine mal à l'opéra qu'un mec bourré se mette à chanter des coloratures dignes de Lucia di Lammermoor ! De même il y a un peu de Don Quichotte dans Nekrotzar et on n'arrête pas de répéter à Chris Merritt qui chante Piet the Pot : « Pense à Sancho Pança ! »

Quelle est votre perception de ce scénario de fin du monde ?

L'opéra ne nous parle pas de la fin du monde, mais de la peur de la fin du monde. La peur est un sentiment très physique, presque animal. Et c'est elle que nous voulons rendre dans son côté « physique ». Le décor représente un grand corps qui a peur de mourir et c'est lui qui incarnera Breughelland.

Comment rapprochez-vous ce grand corps de votre principe de réalité ?

Il s'agit d'un corps très précis, celui de Claudia, une de nos amies comédienne. Au début, on la voit attablée, occupé à manger un MicMac(abre). Elle a peur, se penche, ouvre la bouche et on rentre dans le rêve. Son corps immense (debout, elle mesurerait 16 mètres !) devient le paysage de Breughelland.

Tout le travail est très organique. Les amants cachés apparaîtront dans un de ses yeux, le balcon des ministres sera dans les vertèbres et Go-Go, le glouton, habitera les intestins. Ce corps s'ouvre et se fragmente, avec des côtés presque surréalistes.

En fait, Breughelland se réfère directement à Jérôme Bosch.

Mais l'angoisse ne finit-elle pas par disparaître.

Oui, Parce que, finalement chez Ligeti, on a l'impression que la mort a été trompée et elle s'efface. On a pu survivre à la mort. Et on doit donc jouir de la vie.

« Nous avons soif. Ergo, nous vivons. »