Après une attente interminable à la préfecture, Sofija est devant une femme, noire - peut-être un choix non fortuit de la part du réalisateur - qui, lui débite froidement le calcul de ses revenus si elle accepte l’aide au retour. Interloquée par la rapidité avec laquelle l’entrevue est menée, Sofija qui se veut être dans un registre plus humain ne peut s’empêcher de crier son ras-le-bol, son malaise car dans l’incapacité de retourner dans son pays le Kosovo, après la disparition tragique de sa famille. Quel pays offrira-t-elle de plus à ses enfants, où et comment vivront-ils là- bas? se demandera-t-elle devant une interlocutrice complètement sourde à sa détresse.
Ce film rend compte de cette mesure scélérate et néanmoins obsolète que propose depuis 30 ans l’Etat français régulièrement à ses étrangers afin de les convaincre de quitter le territoire national. Elle a été remise au goût du jour en 2006, nous signale-t-on sous la forme d’une circulaire adressée aux préfets. Son objectif, proposer aux familles «sans papiers» dont l’un des enfants est scolarisé, d’éviter l’expulsion en contrepartie d’une somme d’argent. Cette fois encore, cette mesure n’a pas rencontré le succès escompté par ses promoteurs. «Avant d’être douloureuse, inadéquate, indécente, cette aide au retour a quelque chose d’absurde. Quelque chose d’étrange, oui. J’ai beau faire, j’ai l’impression qu’elle est d’un autre âge, d’une autre époque, d’un autre continent. Impression qu’elle est très loin, qu’on me raconte une histoire, je n’arrive pas à y croire. L’idée de ce film est d’abord de faire partager cet étonnement. Filmer ce que nous avons sous les yeux», confie le réalisateur Mohamed Latrèche. Cette histoire a été inspirée par le témoignage d’Eslen, un adolescent kosovar que le réalisateur a rencontré. «C’est sa perception des choses, l’enfant à qui on ne dit rien, qui devine une menace, scandalisé de voir ses parents dans cet état, apeurés, infantilisés, qui m’a guidé dans ce travail», dit-il. Et de renchérir: «Les enfants sont le fil rouge du film, le thème à la fois sous-jacent et primordial. C’est pour eux que leurs parents se débattent, résistent, tiennent debout. Pour leur léguer une chose, qui peut sembler minimale: vivre en paix. Il n’est pas encore question de bonheur.» Et Mohamed Latrèche d’indiquer: «Il n’y a pas de méchants dans le scénario. La responsabilité du problème ne saurait peser sur les épaules des fonctionnaires préfectoraux par exemple. Elle ne doit peser sur personne, ou alors sur nous tous.» Pour Mohamed Latrèche, ces demandeurs d’asile résident en France depuis plusieurs années déjà, mènent une vie fantomatique. «Pour le dire autrement, s’ils parviennent à subsister, ils n’existent pas encore. C’est ce qui m’intéresse dans ce sujet, au-delà de la circonstance actuelle ou historique, au-delà du documentaire et de l’informatif. Ils ont survécu, mais vivent-ils pour autant? Qu’y a-t il entre les deux? Qu’est-ce que c’est, concrètement, d’être entre les deux?» se demande-t-il. Intéressant et utile, ce film produit par Takami Productions commence une excellente carrière dans les festivals. L’Aide au retour a connu un véritable succès au Cinemed de Montpellier et au Festival du court métrage européen de Brest et vient d’être sélectionné pour le prochain Festival international de Clermond-Ferrand. Le public pourra découvrir ce film ce soir, à 0h30 sur France 2 dans le cadre du magazine «Histoires courtes». Fondateur en 2003 avec Boualem Ziani de la cité de distribution de films Sora Production, Mohamed Latrèche compte à son actif une fiction courte, Rumeur, etc. (2003), un documentaire, A la recherche de l’Emir Abd El-Kader (2004), et travaille actuellement sur son premier long métrage de fiction, Songe d’une nuit d’été. L’Aide au retour est son dernier court métrage.
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